Présentée par
Mme Hélène LAPORTE
Députée
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans le cadre d’une politique active de négociations internationales en vue d’étendre son marché, l’Union européenne a passé quarante‑deux accords de libre‑échange qui la lient à soixante‑quatorze États partenaires. Interprété à la lumière d’une doctrine libérale orientée vers la pure croissance économique, ce résultat pourrait s’analyser en un remarquable succès diplomatique démontrant la puissance commerciale de notre espace économique.
Cette situation prend cependant une tout autre dimension dès lors qu’on s’intéresse plus particulièrement à ses effets sur l’agriculture européenne et en particulier française et aux lourdes implications qui s’y rattachent en termes d’autosuffisance alimentaire et de protection de l’environnement.
En effet, à chaque nouvel accord, la Commission européenne a assumé d’utiliser le secteur agricole comme monnaie d’échange afin d’obtenir des dispositions avantageuses sur d’autres secteurs comme ceux de la production industrielle, des services ou de matières premières. Ainsi, alors que la fin des aides à l’export (qui représentaient en 1980 un élément central de la politique agricole commune) a lourdement fragilisé les exportations françaises, les produits de nos agriculteurs se sont vus concurrencer sur le marché intérieur par des produits aux coûts de production dérisoires désormais exonérés de droits de douane.
L’Accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur, dont les négociations, plusieurs fois interrompues, ont démarré dès 1999, ne fait en aucun cas exception à cette règle générale. Pire : il constitue probablement la pire atteinte portée à notre agriculture par un accord de libre‑échange négocié par l’Union européenne. Ardemment souhaité par les commissaires européens et par les dirigeants sud‑américains, un tel accord nous lierait à un géant agroalimentaire reposant sur une agriculture industrielle dont l’expansion rapide se fait par ailleurs au détriment d’un des espaces naturels les plus menacés de la planète.
Représentant à lui seul 75 % de la population et 70 % du produit intérieur brut du Mercosur, le Brésil est aujourd’hui le premier exportateur mondial de viande bovine, une filière en expansion rapide : entre 2006 et 2022, le cheptel bovin brésilien est passé de 176 millions à 230 millions de têtes (soit treize fois le cheptel français). La déforestation en Amazonie, non interrompue malgré les engagements internationaux pris, lui offrant un potentiel de croissance considérable pour les pâturages et les cultures fourragères, cette montée en puissance est encore loin d’être terminée. Le pays est également premier exportateur mondial de poulet et premier producteur de sucre de canne, de soja, de café ou encore d’oranges. Il est enfin le premier consommateur mondial de produits phytosanitaires, avec 500 000 tonnes par an soit 18 % du marché mondial en 2017 et une moyenne de 6 kg/ha contre 3,6 en France.
En dépit de la menace évidente que fait peser sur nos exploitations majoritairement familiales l’établissement d’une zone de libre‑échange étendue aux produits agricoles avec un tel partenaire, les négociations ont abouti le 28 juin 2019 à un accord de principe qui a presque aussitôt suscité l’opposition de la France par la voix de son Président de la République Emmanuel Macron puis celle de l’Allemagne (depuis‑lors levée). Cet accord prévoit l’instauration d’un contingent tarifaire de 99 000 tonnes équivalent carcasse de viande bovine taxée à hauteur de 7,5 % contre 40 à 45 % aujourd’hui, ainsi que 180 000 tonnes de volaille, 180 000 tonnes de sucre ou encore 650 000 tonnes d’éthanol totalement exonérées.
En raison de sa nature d’accord d’association, le texte était soumis, aux termes de l’article 218 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, à la règle de l’approbation par le Parlement européen et de l’unanimité des membres du Conseil. Soutenu par deux résolutions adoptées par l’Assemblée nationale le 13 juin 2023 et par le Sénat le 16 janvier 2024, l’exécutif français a maintenu son opposition au projet d’accord, contraignant la Commission européenne à une renégociation.
Reprise au début du mois de septembre 2024 en vue d’une signature espérée avant la fin de l’année, cette renégociation s’effectue toutefois sur la base de l’accord de principe de 2019, sur lequel la Commission européenne a exclu de revenir. Les modifications de fond se bornent à l’adjonction d’un protocole annexe rappelant les engagements environnementaux et sociaux des parties. Demeure surtout le risque d’une séparation des dispositions commerciales de l’accord afin que celles‑ci puissent être adoptées à la majorité qualifiée des membres du Conseil, permettant de passer outre l’opposition de la France.
Le 22 février 2024, une étude de la Commission européenne ([1]) a admis un « léger impact négatif » de l’accord avec le Mercosur sur la filière bovine, insistant sur le fait que l’importation de 100 000 tonnes aux droits de douane réduits était anecdotique par rapport au marché européen. Pourtant, mis en relation avec les exportations françaises (215 000 tonnes en 2023), il est évident qu’un tel contingent est suffisant pour profondément déstabiliser le marché intérieur européen et accélérer le déclin de la filière bovine française déjà affectée par une décapitalisation semblant inarrêtable, le cheptel ayant perdu plus de 2 millions de têtes depuis 2016. La menace sur la filière avicole est non moins sérieuse, alors que la balance commerciale de la France, encore excédentaire en 2006, accuse désormais un déficit de près d’1 milliard d’euros.
La conclusion d’un tel accord entre de plus en contradiction frontale avec les objectifs environnementaux, tant en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre que de préservation des espaces naturels et de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Sur tous ces plans, l’accord, en l’absence de clauses miroirs, revient à mettre une agriculture française à laquelle on impose des conditions plus vertueuses que partout ailleurs en concurrence directe avec une grande puissance agricole qui ne connaît aucune de ces restrictions.
Enfin, en portant un coup fatal à des filières entières de notre agriculture, un tel accord nous placera dans une situation de dépendance alimentaire accrue vis‑à‑vis d’une grande puissance régionale dont les intérêts entrent régulièrement en interférence avec les nôtres, ce qui, dans un contexte global de montée des tensions, constitue une prise de risque inutile en termes géostratégiques.
Aussi, la présente proposition de résolution tend à appeler le Gouvernement à une attitude de fermeté totale vis‑à‑vis de ce projet d’accord en usant de tous les moyens institutionnels et diplomatiques pour empêcher un passage en force qui porterait une atteinte sans précédent aux intérêts de l’agriculture française et à notre souveraineté alimentaire.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur conclu le 28 juin 2019,
Vu les articles 53 et 88‑1 de la Constitution,
Vu le traité sur l’Union européenne,
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne notamment ses articles 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206, 207 et 218,
Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947,
Vu l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,
Vu l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime,
Considérant que les négociations en vue d’un accord de libre‑échange entre l’Union européenne et le Mercosur, ouvertes pour la première fois en 1999, ont abouti le 28 juin 2019 à un accord de principe, revêtant la forme d’un accord d’association soumis à l’adoption unanime par le Conseil en application de l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Considérant que le texte de cet accord, prévoyant l’institution de large contingents tarifaires de produits agricoles issus du Mercosur, exonérés en totalité ou en grande partie de droits de douane et que, de l’avis unanime des représentants de filières agricoles françaises, ces clauses mettront gravement en danger les productions nationales qu’elles viendront concurrencer sur le marché intérieur français comme sur les marchés d’exportation vers d’autres pays de l’Espace économique européen ;
Considérant qu’en raison de l’opposition de plusieurs pays de l’Union européenne, dont la France, cet accord n’a pas été adopté à ce jour ;
Considérant que, le 4 septembre 2024, un nouveau cycle de négociations s’est ouvert à Brasilia, sur la base de l’accord du 28 juin 2019 auquel doit être adjoint un protocole annexe comportant des engagements sociaux et environnementaux réciproques qui n’auront pas de conséquences directes sur les clauses commerciales de l’accord ;
Considérant que ces négociations sont exercées par la Commission européenne sur le fondement du mandat qui lui a été accordé en 1999 et demeure en vigueur ;
Considérant que la possibilité d’une séparation de l’accord en vue de faire adopter sa partie commerciale par le Conseil à la majorité qualifiée n’est pas écartée ;
Considérant que l’entrée en vigueur – même enrichies d’un protocole annexe – des stipulations contenues dans l’accord de 2019 emporterait des effets manifestement contraires à la protection du secteur agricole français, à l’objectif de souveraineté alimentaire et aux engagements de la France en matière de préservation de l’environnement et de lutte contre le changement climatique ;
Considérant que, lors du scrutin du 9 juin 2024, les peuples européens, en accordant aux partis patriotes un score inédit, ont montré leur ferme rejet de l’agenda mondialiste et ultralibéral de la Commission européenne, une réalité dont cette dernière ne peut refuser de tenir compte ;
Appelle le Gouvernement :
1° À communiquer à la Commission et aux autres États membres son opposition ferme tant à l’adoption de l’accord du 28 juin 2019 qu’à la perspective de la conclusion avec le Mercosur d’un accord commercial relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne qui contournerait cette opposition ;
2° À user de tous les leviers d’influence à sa disposition pour amener les États membres favorables à l’adoption de l’accord à reconsidérer leur position et, si nécessaire, à révoquer le mandat de négociation consenti à la Commission européenne.