Moderniser les barrages hydroélectriques

Présentée par

M. Nicolas MEIZONNET

Député

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Plus de la moitié (53 %) de la production d’électricité renouvelable en France est d’origine hydroélectrique, ce qui en fait la première énergie renouvelable nationale. En 2023, les centrales hydroélectriques françaises ont produit 58,8 TWh, soit un petit peu moins de 12 % de la production métropolitaine d’électricité.

La France compte sur son territoire plus de 600 barrages, dont 425 sont exploités par EDF (électricité de France). La puissance hydroélectrique installée sur le territoire métropolitain est de 24,9 GW, ce qui représente 18 % du parc de production d’électricité national ([1]).

Cette capacité de production peut même bénéficier de conditions météorologiques particulières, comme cette année où les chiffres de production sont exceptionnels : « au cours des six premiers mois de l’année (2024), les barrages hydrauliques ont fourni à la France 13 % d’électricité de plus par rapport à la moyenne enregistrée entre 2000 et 2020. (…) Au total, 41 térawattheures (TWh) d’électricité hydraulique ont été « turbinés », selon l’expression consacrée, sur le territoire, d’après le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité (RTE). » ([2]).

Depuis la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, l’exploitation des installations hydroélectriques est soumise, en fonction de leur puissance, à l’un des deux régimes juridiques : l’autorisation ou la concession.

Le régime de l’autorisation

Il s’agit du régime le plus fréquent. L’autorisation concerne aujourd’hui les installations dont la puissance est inférieure à 4,5 MW (500 kW initialement, mais le seuil a été réhaussé par la loi n° 80‑531 du 15 juillet 1980 relative aux économies d’énergie et à l’utilisation de la chaleur). Elle est délivrée par arrêté préfectoral et est accordée pour une durée maximale de 75 ans (plutôt 30 ans dans les faits) avec possibilité de renouvellement. Les installations appartiennent au permissionnaire qui les exploite conformément à un certain nombre de prescriptions.

L’autorisation est personnelle, ce qui signifie que tout changement de propriétaire doit être notifié au préfet, et peut être révoquée ou non renouvelée en cas de non‑respect de certaines exigences légales.

À l’expiration du délai d’autorisation, le permissionnaire doit rétablir la circulation des eaux.

Le régime de la concession

Ce régime s’applique obligatoirement aux installations d’une puissance de 4,5 MW ou plus, pour une durée maximale de 75 ans.

Le concessionnaire paie une redevance pour exploiter les installations et doit réaliser les travaux nécessaires à leur conservation tout au long de la concession dans le respect d’un cahier des charges imposé par l’État.

Nous proposons de que toutes les installations soient soumises au régime d’autorisation, quelle que soit leur puissance, comme c’est le cas des autres énergies renouvelables.

En effet, le régime de la concession nous tient prisonniers des règles européennes qui gouvernent l’attribution et l’exécution des contrats de la commande publique tenant, notamment, dans l’obligation de mise en concurrence. De fait, depuis la publication de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil le 26 février 2014, les règles applicables aux procédures de passation de contrats de concession ont changé lorsque leur valeur estimée est égale ou supérieure à 5 186 000 euros. Depuis cette date, les concessions doivent être soumises à une concurrence européenne et donc potentiellement extranationale.

Par ailleurs, le 22 octobre 2015, la Commission européenne a adressé une mise en demeure à la France au sujet des concessions hydroélectriques, en considérant que l’attribution des concessions à EDF était incompatible avec le Traité relatif au fonctionnement de l’Union européenne, et plus précisément avec son article 106, paragraphe 1er.

Attachés au maintien de la souveraineté énergétique, nous ne pouvons que déplorer cette logique qui met directement en danger les intérêts de la France.

Pour les sauvegarder en dépit de cet état du droit européen, un changement de régime juridique interne apparaît nécessaire. Il permettra seul de répondre dans des délais raisonnables au défi de l’indépendance de la fourniture électrique.

En France, il existe un potentiel de développement estimé a minima à 5 000 MW, en partie atteignable au travers d’investissements dans les installations existantes mais également via la construction de nouveaux ouvrages, deux axes aujourd’hui entravés par les règles auxquelles est soumis le régime concessif. Le droit de la concurrence européen impose en effet, pour tous les projets de modernisation qui nécessitent des investissements lourds, une mise en concurrence : nos barrages sont, dans ce cadre juridique, à la merci de sociétés non seulement privées mais surtout non françaises. C’est ce qui explique que depuis 2014, tous ces projets de modernisation, tant nécessaires, sont suspendus.

La préservation de notre indépendance énergétique nous oblige à sortir de cette contrainte. En rendant possible la reprise tant attendue des investissements, notamment des Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP), cela permettra le développement pour le seul périmètre des ouvrages pilotés par EDF, de 2 000 MW supplémentaires de capacité (soit environ 10 % de la puissance actuelle exploitée par EDF), et d’a minima 2 000 MW supplémentaires au‑delà.

Le changement de régime juridique proposé n’enlèvera rien à la capacité de l’État et des collectivités à encadrer la gestion de l’eau. En effet, les autorisations pourront être conditionnées à des prescriptions qui peuvent réunir toutes les obligations qui s’imposent aujourd’hui à EDF, notamment en termes de sûreté hydraulique, de protection de l’environnement et de conciliation des différents usages de l’eau.

Le schéma proposé, qui consiste à appliquer le régime de l’autorisation aux ouvrages d’une capacité supérieure à 4,5 MW, ne serait qu’une généralisation et une harmonisation du régime de l’autorisation à toutes les installations de production d’électricité en France (nucléaire, thermique, éolien, solaire, petit hydraulique…).

Ce régime est celui prévu par les textes européens. Il correspond, par ailleurs, au régime pratiqué dans de nombreux pays européens pour la production hydroélectrique (Allemagne, Autriche, Suède, Pologne, Finlande), pour lesquels les mises en demeure de la Commission européenne (2019) ont été clôturées.

Le dispositif d’autorisation, ouvert et reposant sur des critères transparents et objectifs, s’appliquerait à l’ensemble des concessionnaires en place qui le souhaitent et permettrait le développement de projets dans un contexte incitant les investissements. Par ailleurs, la production d’un plus grand volume d’électricité décarbonée et l’amélioration de la gestion de la production (notamment en pointe de consommation) sont de nature à accroître la fluidité du marché au bénéfice de l’ensemble des acteurs.

Le passage en autorisation permettrait la résolution du contentieux communautaire sur la mise en concurrence, conduisant à relancer l’hydroélectricité, sans rien enlever au contrôle exercé par l’État et les collectivités sur la gestion de l’eau. Cette solution soutenue par EDF ([3]) est celle qui suscite le moins de critiques, à l’inverse des solutions envisagées précédemment, qui ont fait l’objet de fortes réserves voire d’oppositions politiques et sociales.

Le modèle énergétique français est l’un des piliers de la souveraineté nationale. Sa survie est une nécessité aussi bien pour des raisons stratégiques qu’économiques ou écologiques. L’hydroélectricité est le fruit d’investissements financés par les Français depuis plus de huit décennies, il est impératif que ses bénéfices continuent de leur profiter. Alors que la transition énergétique, la réindustrialisation et la relance du nucléaire constituent un immense défi, l’hydraulique doit rester l’atout sur lequel le réseau électrique français peut s’appuyer pour assurer la souplesse du système.

En passant d’un régime de concession à un régime d’autorisation, cette proposition de loi cherche à ouvrir une nouvelle ère après deux décennies marquées par les échecs et les renoncements comme le met en exergue le rapport n° 1028 de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, paru le 30 mars 2023.

L’extension du régime d’autorisation d’exploitation aux ouvrages supérieurs à 4,5 MW requiert les étapes suivantes :

1) La généralisation du régime d’autorisation d’exploitation (article 1er) : ce régime, accordé sur la base d’une appréciation des capacités techniques, économiques et financières du demandeur, conformément aux textes européens, fait une place centrale aux impératifs de protection des intérêts mentionnés à l’article L. 211‑1 du code de l’environnement (gestion équilibrée de l’eau notamment), ainsi qu’à la sécurité / sûreté des ouvrages. Il reste à la discrétion de l’administration, et échappe ainsi, contrairement au régime de concession, à la suppression duquel il est procédé, au droit européen de la concurrence.

2) La résiliation des contrats de concession en cours par anticipation (article 2), avec versement d’une indemnité aux concessionnaires concernés et mise en place d’un régime transitoire jusqu’à la délivrance des autorisations définis par un décret pris en Conseil d’État. La voie règlementaire offre la souplesse requise dans l’approche circonstanciée des différents types d’ouvrages afin de ne pas figer de manière absolue, le temps des procédures, l’exploitation ou les investissements nécessaires pour moderniser les équipements hydroélectriques.

3) Le déclassement des installations hydroélectriques du domaine public (article 3), étant précisé que leur terrain d’assiette demeure dans le domaine public : les sols, les lacs et cours d’eau restent dans le domaine de l’État. Leur occupation donnera lieu à une redevance domaniale conformément à l’article L. 531‑4 du code de l’énergie.

4) La préservation de l’impératif de souveraineté (article 4). La propriété des installations hydroélectriques est cédée à titre onéreux aux concessionnaires sortants, principalement EDF comme entreprise publique. Les installations sont soumises à un régime spécifique très protecteur des intérêts publics, comportant notamment une règle d’incessibilité sauf accord de l’État.

Par ces moyens, la cession des ouvrages n’est en rien assimilable à une privatisation. On rappelle d’ailleurs ici que depuis la loi n° 2024‑330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement, le caractère public de l’entreprise EDF est garanti. Il existe les mêmes garanties avec la SHEM et avec la Compagnie Nationale du Rhône qui appartient en partie à EDF, à la Caisse des dépôts et consignations et à des collectivités locales.

L’article 5 prévoit une entrée en vigueur différée au 30 juin 2025 de ces dispositions, afin que les modifications introduites puissent intervenir dans les meilleures conditions, et renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation de leurs modalités d’application.

Conformément à l’article 40 de la Constitution, l’article 6 gage cette proposition de loi en raison de la nécessité de financer les compensations prévues à l’article 2. Cependant, le changement juridique introduit sera très probablement à l’origine d’un gain financier pour l’État.

PROPOSITION DE LOI

Chapitre 1er

Généralisation du régime d'autorisation

Article 1er

Le livre V du code de l’énergie est ainsi modifié :

1° L’article L. 511‑1 est ainsi modifié : 

a) Au premier alinéa, les mots : « une concession ou » sont supprimés ;

b) Au second alinéa, les mots : « des régimes de concession ou » sont remplacés par les mots : « du régime » ; 

2° À l’article L. 511‑3, les mots : « des régimes de concession ou » sont remplacés par les mots : « du régime » ;

3° L’article L. 511‑5 est ainsi rédigé :

« Art. L. 5115 – Les installations hydrauliques sont placées sous le régime de l’autorisation selon les modalités définies à l’article L. 531‑1. » ;

4° Les articles L. 511‑6 à L. 511‑6‑2 sont abrogés ; 

5° À l’article L. 511‑7, les mots : « concédés ou » sont supprimés ; 

6° L’article L. 511‑8 est abrogé ; 

7° À l’article L. 511‑10, les mots « de la concession ou » sont supprimés ;

8° À l’article L. 512‑1, les I, III et V sont abrogés ; 

9° Les articles L. 512‑4, L. 513‑1 à L. 513‑4, et L. 521‑1 à L. 524‑1 sont abrogés ;

10° Après l’article L. 531‑1 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 531‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 5311. – L’autorisation impose à son titulaire le respect d’un cahier des charges dont le modèle est établi par décret en Conseil d’État. ».

Chapitre 2

Dispositions transitoires

Article 2

Les contrats de concession d’installations hydrauliques conclus en application du livre V du code de l’énergie et des dispositions de la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d’aménagement du Rhône, de la frontière suisse à la mer, au triple point de vue des forces motrices, de la navigation et des irrigations et autres utilisations agricoles, et créant les ressources financières correspondantes, sont résiliés de plein droit.

Chapitre 3

Renforcement de la souveraineté énergétique

Article 3

Les installations hydroélectriques faisant l’objet d’un contrat de concession résilié en vertu de l’article 2 de la présente loi sont déclassées du domaine public de l’État, à l’exception de leur terrain d’assiette.

Article 4

En vue de la généralisation du régime d’autorisation, l’État procède à la cession à titre onéreux des installations hydroélectriques aux entreprises qui bénéficiaient d’un contrat de concession résilié en vertu de l’article 2. Le prix de cession est fixé par décret après avis de la direction de l’immobilier de l’État.

Afin de préserver les intérêts stratégiques de la France et notamment son indépendance énergétique, l’État peut s’opposer à une nouvelle cession de ces installations hydroélectriques.

Chapitre 4

Entrée en vigueur de la loi et modalités d’application

Article 5

La présente loi entre en vigueur le 30 juin 2025.

Ses modalités d’application sont fixées par décret en Conseil d’État. Il fixe notamment les conditions d’exploitation des installations hydrauliques faisant l’objet d’un contrat de concession résilié en vertu du premier alinéa de l’article 2 de la présente loi, jusqu’à la délivrance de l’autorisation mentionnée à l’alinéa premier de l’article L. 511‑1 du code de l’énergie. Il fixe également les modalités de l’indemnité à laquelle ont droit les concessionnaires des contrats de concession résiliés en vertu du premier alinéa, au titre du préjudice résultant de la résiliation.

Chapitre 5

Gage

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

Protéger les barrages hydroélectriques français, on vous donne la parole !

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